C'est le SGEN-C.F.D.T. qui avait soulevé ce lièvre il y a plus d'un an quand les services des pensions relevant du ministère des Finances et du ministère de l'Éducation nationale se sont mis à modifier leur pratique et leur lecture des textes sur les cumuls de retraites. Les diverses administrations auxquelles nous nous étions adressés n’ont eu qu’une réponse administrative quand le problème avait une toute autre dimension.

Lettre de Monique Cerisier Ben Guiga (Sénatrice des Français à l'étranger, Vice-Présidente de l'Association démocratique des Français de l'étranger) au sujet de la pension civile:

``Depuis les années 1950, pour assurer le développement de son action culturelle à l'étranger, le ministère des Affaires étrangères a affecté à l'étranger des milliers de fonctionnaires, détachés administratifs par le ministre de l'Éducation nationale, dans des écoles, des universités et des institutions culturelles de droit local. Dans les pays développés où existe une assurance vieillesse obligatoire, ces fonctionnaires français ont été contraints de cotiser au système de leur pays de résidence et simultanément de verser les retenues pour pension civile dont le paiement conditionnait leur détachement administratif. Ils ont donc payé, parfois pendant plusieurs dizaines d'années deux cotisations de vieillesse prélevées sur le seul salaire auquel donnait lieu leur unique emploi. Faut-il préciser qu'en leur qualité de détachés administratifs, ils n'étaient rémunérés que par leur employeur étranger et absolument pas par l'État français, sauf depuis 1990, pour les résidents de l'A.E.F.E.

Ces agents de l'État français affectés aux États-Unis, au Canada, en Europe à la diffusion de la langue et de la culture française, sans bénéficier d'aucune prime à l'expatriation de la part de l'État français, ont dû s'incliner devant la double contrainte imposée par leur État d'accueil et leur État d'origine. L'État français ne peut obtenir des pays concernés qu'ils modifient leur législation interne sur la retraite obligatoire. La règle de non-cumul des pensions n'ayant jamais été appliquée jusqu'à l'été 1998, ces centaines de fonctionnaires concevaient leur double cotisation comme une épargne forcée dont ils percevraient les dividendes à l'âge de la retraite.

Il est choquant que l'État français défalque aujourd'hui de leur pension française les sommes perçues au titre de la pension étrangère. C'est une façon pour l'État français de s'approprier le produit de cotisations qui ont été versées à l'organisme étranger non seulement par l'agent français mais aussi par son employeur. Ainsi, aux États-Unis, la cotisation de 15,30 % du salaire de base à la "social security" est versée pour moitié par l'employeur.

Par ailleurs, le raisonnement administratif de la Fonction Publique qui interdit le cumul au nom d'une différence de traitement avec les fonctionnaires de la Métropole omet le fait que la différence de traitement existe déjà car c'est l'État qui a mis ces fonctionnaires envoyés à l'étranger dans la situation de double cotisation. Se retrancher bureaucratiquement derrière la phase: "le fonctionnaire détaché ne peut être affilié au régime dont relève la fonction de détachement ni acquérir à ce titre, des droits quelconques" n'est pas acceptable. En effet, le fonctionnaire détaché administratif à l'étranger doit être affilié au régime dont relève sa fonction de détachement en vertu du droit local. Le texte de référence sur le détachement administratif (loi n° 84-16 du 11 janvier 1984) n'a pas été conçu pour s'appliquer à un détachement à l'étranger avec un salaire local. Il ne devrait donc pas s'appliquer à ces agents.

Enfin, il faut prendre en considération que l'essentiel de notre diplomatie culturelle dans les pays développés a reposé et repose encore sur ces enseignants détachés administratifs dans des établissements culturels de droit local. Cela comprend les écoles du réseau de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (A.E.F.E.) et les Alliances françaises. Si l'État pénalise lourdement ces agents au moment de leur retraite, il commet une injustice à l'égard des personnes et il condamne à terme son propre dispositif de diplomatie culturelle. En effet, qui voudra partir travailler dans une Alliance française ou une université américaine en ayant le choix entre la perte du statut de fonctionnaire et des revenus amputés par une double cotisation de pension sans contrepartie à l'âge de la retraite?

Le problème qui se pose au sujet du cumul de pension des enseignants détachés administratifs dans tous les pays ayant un système obligatoire d'assurance vieillesse est politique et non administratif. Le discours sur la Francophonie trouverait là l'occasion de sortir de la pure rhétorique qui le caractérise pour s'appliquer concrètement en faveur des modestes agents qui servent bien plus notre langue et notre culture que tous les dispendieux secrétariats, agences, conseils, sommets par lesquels on prétend aujourd'hui défendre la cause du français dans le monde.